La dimension existentielle et spirituelle du trauma
Quand la blessure psychique devient aussi une crise du sens
Au-delà des symptômes psychiques et corporels, le traumatisme vient souvent ébranler quelque chose de plus profond : la structure même de l'existence. Nombre de personnes traumatisées rapportent un effondrement de leurs repères fondamentaux, une perte de direction intérieure, un sentiment de vide. Ce n’est pas seulement la sécurité qui est atteinte, mais le sens même de vivre. Ce plan de l’existence, qu’on appelle dans certaines approches le plan « noétique », constitue un enjeu central dans la reconstruction post-traumatique.
La perte de sens comme atteinte invisible
Dans les suites d’un événement traumatique, surtout lorsqu’il touche l’intégrité morale ou relationnelle du sujet, il est fréquent que l’on observe un effondrement du système de valeurs, des croyances fondamentales et du projet de vie. L’individu ne comprend plus ce qui lui est arrivé, doute de sa place, de sa valeur, et de la logique du monde. Le traumatisme ne fracture pas uniquement la mémoire ou les émotions : il provoque une crise existentielle. Ce que l’on croyait solide — la justice, l’amour, la confiance, le bien — vacille, laissant place à l’absurde ou au désespoir.
La logothérapie : une réponse fondée sur le sens
Dans ce contexte, la logothérapie — développée par Viktor Frankl — propose une approche thérapeutique qui s’adresse spécifiquement à cette souffrance existentielle. Cette méthode ne nie pas la réalité du traumatisme, ni la nécessité de soigner ses effets cliniques. Mais elle insiste sur un point fondamental : même dans la souffrance, il reste possible d’affirmer une direction, de redonner forme à une vie bouleversée. L’accompagnement consiste alors à aider le patient à retrouver ses raisons de vivre, à redéfinir ce qui fait valeur à ses yeux.
La logothérapie s’appuie notamment sur trois axes :
- la liberté de la volonté : même dans les pires conditions, une part de liberté subsiste dans la manière de réagir ;
- la volonté de sens : tout être humain cherche à inscrire son existence dans un sens ;
- la responsabilité : chacun peut se déterminer face à ce qu’il subit, en fonction de ses ressources intérieures.
Les constantes existentielles du trauma
Dans une perspective existentielle, le traumatisme actualise avec une intensité inédite certaines dimensions fondamentales de la condition humaine :
- la souffrance : qu’il faut accueillir, comprendre et transformer ;
- la culpabilité : réelle ou transférée, souvent majorée par des mécanismes psychiques internes ;
- la confrontation avec la mort : comme réalité vécue ou approchée, mais aussi comme perte de sens.
Ces données ne relèvent pas du trouble mental au sens strict, mais du fait que le trauma donne corps à des questions universelles : pourquoi cela m’est-il arrivé ? Qu’est-ce qui me reste ? Que puis-je faire maintenant ?
Une spiritualité non religieuse, mais profondément humaine
Il ne s’agit pas ici d’une spiritualité dogmatique ou religieuse, mais d’une ouverture à ce qui dépasse l’individu : la transcendance, les valeurs, l’éthique, la beauté, l’amour, la créativité. Nombreux sont les patients qui, sans forcément en parler en ces termes, manifestent ce besoin d’un lien plus profond avec eux-mêmes et avec la vie. La reconstruction passe alors par une réappropriation du sens, parfois par une quête intérieure, un engagement, ou une ouverture à des dimensions symboliques oubliées.
Une clinique de la transformation intérieure
Dans cette approche, le traumatisme n’est pas réduit à une pathologie à éradiquer, mais peut devenir, à travers un long processus, le point de départ d’une transformation intérieure. Ce retournement n’est pas immédiat, ni linéaire. Il suppose un accompagnement respectueux, une écoute du vécu subjectif, et la reconnaissance de la souffrance comme révélatrice de la profondeur humaine.
Le travail thérapeutique vise alors non seulement à soulager la douleur, mais à soutenir une reconstruction active, qui permette à la personne de redevenir auteur de sa vie — parfois même avec un sens plus affirmé qu’auparavant.